Thursday, September 6, 2012

Interview - W. Haas "Verteidigung der Missionarsstellung"

Interview avec Wolf Haas sur son nouveau roman "Verteidigung der Missionarsstellung". Journal "Der Standard" (31.08-2012)




"Que puissé-je bien écrire sur la Chine?"
Entretien mené par Christian Schachinger le 31 Août 212 (17h41)

Wolf Haas défend dans son nouveau roman la position du missionnaire. Entretien avec l'auteur sur le sexe, l'autoréflexion et la grippe porcine.

STANDARD: Monsieur Haas, "Verteidigung der missionarsstellung "(Défense de la position du missionnaire) est d'une part un titre génial pour un roman, d'autre part...
Wolf Haas: elle n'apparaît nulle part dans le roman.
STANDARD: La position du missionnaire passe en ce qui concerne les pratiques sexuelles pour quelque chose de pépère. Pourquoi prétendre devoir la défendre?
Haas: A notre époque "pornographique", où toutes les choses du lit deviennent de plus en plus raffinées, je trouve amusant de prendre une position conservatrice. Quand les gens entendent le titre, ils rient et croient rire de la position du missionnaire. Mais ce qui est vraiment intéressant est le terme "défense", la prétention morale.
Le livre commence par un épisode où un homme aborde une femme qui lui plait. C'est au fond ce que l'on fait en tant qu'auteur. On démarche ses lecteurs. En cela on prétend bien sûr toujours quelque chose d'autre que ce qui ressort après dix ans de relation. On peut dire que le titre sert d'allèchement coquet.
STANDARD: Par rapport aux canaux pornographiques qui deviennent si vite obsolètes, la position du missionnaire passe encore pour du "good, clean fun". Avec cela on n'annonce pas que l'on veut faire des choses cochonnes avec une femme, mais l'on dit: "traitons-nous l'un l'autre de manière respectueuse".
Haas: Je suis moi-même étonné de la façon dont se "conduit" le titre du roman- En fait le titre m'est venu pendant l'écriture d'un dialogue dans lequel il est question que dans notre langue, il n'y a de mots que pour les exceptions, mais pas pour ce qui suit la règle. On dit par exemple "rond-point" ou "croisement", mais que dit-on pour une simple route toute droite? L'objection est: Si, il y a par exemple la position du missionnaire.
STANDARD: Dans le roman vous remettez aussi de façon répétée en doute des termes que l'on pourrait tenir pour évidents. A un certain passage, vous discuter de savoir pourquoi on peut dire des "Unfug" (non-sens), mais pas des "Fug" (sens). Est-ce que vous polissez ici vos études de linguiste à Salzbourg?
Haas: La sexualité dans le livre n'est présente qu'au niveau du langage. Il n'y a pas une seule scène de sexe. Ne raconter que des histoires serait trop ennuyeux pour moi. Je préfère travailler selon le principe de modularité et mets en scène plusieurs niveaux. C'est aussi très amusant. Chaque morceau de musique, de littérature ou d'art qui est intéressant contient un élément pour l'autoréflexion. Dans mon cas cela apparaît bien entendu de façon explicite de par la philosophie du langage. Par exemple le fait que Brenner (NB: personnage principal des romans policier de Wolf Haas) parle une langue qui n'existe pas en soi était aussi un moment d'autoréflexion.
STANDARD: La "Verteidigung der Missionarsstellung" est d'une part un livre très riches en autoréflexion, et d'autre part et contrairement aux romans Brenner, il n'est pas pauvre en évènements. Dans les Brenner, il ne se passait relativement que peu de choses. Peut-on dire qu'il s'agit pour vous de créer des situations que vous contournez plutôt que de faire progresser l'intrigue?
Haas: Dans mon nouveau roman, ça a été assez facile, parce que l'idée de base était de raconter les confusions amoureuses d'un jeune homme parallèlement aux grandes dates de ces dernières années où ces épidémies telles la grippe porcine, la grippe aviaire, la vache folle sont apparues. Il y avait donc une structure, la progression de l'intrigue s'imposait d'elle-même. Il faut pourtant ajouter, que ces épidémies ont toujours été annoncées mais ne sont jamais vraiment venues jusqu'à nous. Il s'agit en soi d'une forme intéressante de la narration
Un autre déclencheur pour le roman a également été l'entretien d'un psychologue sur Ö1, qui a prononcé cette belle phrase: "Le premier état amoureux d'un être humain correspond aux critères psychologiques d'une psychose". C'est une déclaration sensationnelle! La forme suivante et plus durable de l'amour a, selon lui, la forme d'une légère névrose. L'aspect démentiel et les épidémies se sont alors mêlés dans mon roman.
STANDARD: Dans le passé, une épidémie de grippe était une épidémie de grippe. De nos jours, une hystérie est lancée autour d'elle et elle reçoit un nom particulier. Même les tempêtes et les dépressions portent des prénoms de garçon ou de fille. Doit-on de nos jours tout appeler par son prénom?
Haas: Une grippe aviaire est plus porteuse qu'une grippe normale. La première phrase du roman est par ailleurs: "Ne me dévoile surtout pas ton nom." C'est plus flottant, plus captivant. Par ailleurs, je crois pouvoir me souvenir que quand j'étais enfant, il y avait déjà cette grippe de Hongkong, si dangereuse
STANDARD: Pourquoi travaillez-vous dans votre roman souvent avec des éléments tirés du contexte de la littérature expérimentale? Est-ce pour vous des exercices de doigté? Par exemple, lorsque le protagoniste Benjamin Lee Baumgarten prend l'ascenseur, le passage de texte équivalent, lui aussi, va sur le papier de bas en haut.
Haas: Pour parler objectivement: oui je le fais. Mais pour parler de façon subjective, c'est pour moi une horreur que ce soit perçu comme tel par le lecteur. Comme tous mes livres, "Verteidigung der Missionarsstellung" était prévu pour être un livre tout à fait normal. Mais il y a, à vrai dire, ce passage du roman, dans lequel la femme porte un chemisier avec un motif Paisley. Je me suis dit que plutôt que de décrire longuement le motif, il serait plus amusant que le passage en question prenne la forme de ce motif. Il y a aussi ici et là dans le livre de petites typographies insérées. Je trouve cela charmant de devoir de-ci de-là tourner le livre.
STANDARD: Avec de petits clins d'œil à la conscience historique, que tout cela a déjà été utilisé dans la littérature?
Haas: Ça a quelque chose de mutin. Ma motivation est toujours la même, mon aversion à décrire les choses. Certaines choses peuvent être transmises plus rapidement.
STANDARD: Thomas Bernhard a dit une fois, qu'il ne décrit aucun paysage, car quand il écrit "prairie", tout le monde sait de toute façon à quoi ça ressemble. Est-ce pour cette raison que vous utilisez de façon répétée et entre parenthèses des mémos et des didascalies, adressées à l'auteur "Wolf Haas" qui joue en même temps le rôle de conteur à moitié informé? Par exemple: "Ici encore Londres - poser l'atmosphère- Personnes, autos, maisons. 1988. Vue depuis the Bridge."
Haas: Il y a un poème sur la nature de Ernst Jandl "heu / see" (foin / lac). Je sais qu'il y beaucoup de lecteurs qui aiment se plonger dans des gros romans, mais moi c'est le contraire. On pourrait aisément réduire au moins de moitié chaque pavé sans ressentir aucune perte. Ça me fait plaisir de voir que mon "Londres – Atmosphère" véhicule autant qu'une description de la ville sur trois pages.
Je n'aime pas du tout quand je lis un livre et sens que l'auteur est allé quelque part et fait "glisser" cela dans son roman. Ça a quelque chose de prétentieux. Que puissé-je bien écrire sur la Chine? On ne peut même pas décemment faire des recherches là-dessus. C'est pourquoi le texte bascule brièvement à un moment vers le chinois. L'intransmissibilité d'une culture étrangère est ainsi mieux appréhendée.
STANDARD: Mon chinois est un peu rouillé. Est-ce que ce passage a un sens?
Haas: Oui, oui. C'est un vrai texte. Mais le roman peut être compris sans traduction en français de ce passage. Considérez-le comme une petite histoire en bonus. Des évènements réellement vécus s'intègrent souvent très mal dans un roman, ça fonctionne mieux avec des histoires inventées. Le passage chinois est dans cette mesure la seule histoire vraiment vécue de ce livre.
STANDARD: En fait ça na pas beaucoup d'importance la façon à quoi ressemblent vraiment Kitzbühel ou Graz dans vos romans Brenner, si de toute façon chacun a déjà en tête une image particulière des lieux.
Haas: Sur le fond, je trouve que le processus d'écriture fascinant parce que cela ne m'intéresse plus tant que ça de savoir comment le monde est vraiment fait. Je veux inventer quelque chose en sus. Je rejette catégoriquement cette peste des romans régionaux et l'affirmation que chaque bled est intéressant et comporte des abîmes.
STANDARD: Les gens sont souvent assez ennuyant par eux-mêmes, mais les paysages encore plus. Est-ce qu'il y a pour vous une différence insignifiante entre un coucher de soleil dans les montagnes et un coucher de soleil sur la mer?
Haas: L'essentiel dans l'écriture est le divertissement. Je ne comprends pas quand les parents se plaignent que leurs enfants passent toute la journée devant l'ordinateur. Pour moi, lire n'est pas autre chose que cela. Si le monde réel ne fournit pas assez de divertissement, alors il faut aller le chercher ailleurs. L'aspect "mauvais pour la santé" que l'on attribue aux jeux vidéo s'applique aussi à la lecture. Evasion du monde, évitement des conflits. Dans le temps on disait aussi que lire est mauvais pour les yeux.
STANDARD: On disait aussi: Tu te caches à nouveau derrière un livre?
Haas: Je ne connais pas ce dicton. Je ne lisais pas dans ma jeunesse. Mais aujourd'hui lire signifie pour moi quelque chose comme "se mettre en boule comme le hérisson", courber le dos et se plonger dans un livre. Un livre est en fait une rigidité, une chose absente contre laquelle je dois lutter. C'est pourquoi dans mon romans apparaissent toutes ces bizarreries. Si un jour le livre sous sa forme papier venait à disparaitre et venait à passer sous une forme plus souple dans un autre média, cette résistance me manquerait. Par ailleurs, c'est quand on me dérange dans ma lecture que je deviens le plus agressif.
STANDARD: Vous ne faites pas seulement que ne pas décrire de paysages, vous proposez aussi très peu d'action. Après Brenner, Benjamin Lee Baumgartner, le fils d'un indien navajo et d'une allemande de Simbach en Bavière, est aussi assez pale.
Haas: Dans la critique littéraire on demande sans arrêt des "personnages plastiques" et de la "tenue au monde". J'en suis l'ennemi. Et cela bien que les critiques littéraires ont plus d'expérience des livres que du monde.
STANDARD: A propos d'expérience des livres: vous faites de nombreuses digressions dans le domaine de la philosophie du langage. Est-ce que par ce biais vous faites le deuil de votre époque étudiante? D'une part vous vous en moquez et d'autre part vous prenez ce lest, cette différence entre langage référencé objet et métalangage très au sérieux.
Haas: Au commencement était l'indien bavarois. Mais il m'a rapidement glissé des mains, ça m'en est même presque devenu désagréable. Alors j'ai commencé à incorporer dans mon texte des crevasses glaciaires dans lesquelles on tombe. D'une part, ma période étudiante, que chacun vit a été tout à fait normale. D'autre part, ces contenus intellectuels de cette époque, et qui semblent plus grands que la vie elle-même et dont on a plus espéré que ce qu'ils ne peuvent donner; ces contenus sont aussi devenus une réalité.
STANDARD: Est-ce qu'à la longue il n'est pas fatiguant de parler doctement et de faire de grands discours?
Haas: Il s'agit d'une forme de kitsch intellectuel. Si quelqu'un cite le "Petit Prince" d'Antoine de Saint-Exupéry, on se moque de lui. Mais si quelqu'un fanfaronne avec Wittgenstein, qui par ailleurs écrit de façon comparable, alors il peut marquer des points. "Ce sur quoi on ne peut causer, il faut le taire", c'est point pour point le Petit Prince.
STANDARD: Il s'agit peut-être de l'expérience faite à l'école que les filles préfèrent courir après les sportifs que citer Wittgenstein
Haas: Ou bien elles ont couru près les gars qui avaient déjà une auto. Finalement il s'agit de la question suivante: Dans quelle mesure les sentiments propres sont-ils authentiques? Auparavant on aurait dit qu'il s'agit d'un "Jeu discursif". En fait je suis assez pessimiste et ne crois pas que l'on puisse se libérer de sa propre illusion. Il s'agit du combat éternel entre distraction et concentration. On veut se distraire, mais on a cette idée fixe qu'il y a dans la vie quelque chose de plus précieux que cette distraction. Dès que l'on énonce cela, ça devient kitsch. Dans mon livre, on effleure cela, sans jamais le nommer,
STANDARD: Baumgartner zigzague dans la vie, sans jamais prendre de décisions
Haas: C'est une victime.
STANDARD: A la fin "Wolf Haas" et Baumgartner sont assis au centre de réhabilitation et se demande 'un l'autre: Comment as-tu atterri ici?
Haas: Oui, c'est fataliste, presque comme la fin d'un film de Brenner. Il me semble que je me défende instinctivement contre un personnage concret et qui évolue. Je n'écris pas sur un homme qui se casse le pied et apprend à remarcher correctement chez un bon physiothérapeute. Chez moi il marche avec des béquilles
(Christian Schachinger, Album, DER STANDARD, version longue, 1./2.9.2012)

No comments:

Post a Comment